VERS TEL AVIV 43 / TOWARDS TEL AVIV 43
Xe Congrès NLS 16-17 juin 2012 / 10th NLS Congress 16-17 June 2012
7 mai 2012
7 May 2012
VERS TEL AVIV 43 - Textes 5 - Patrick Monribot: Le travail du symptome
TOWARDS TEL AVIV 43 - Texts 5 - Patrick Monribot: The Work of the Symptom
“Lire un sympt
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Vers Tel Aviv - Patrick Monribot, « Le travail du symptôme »
Patrick Monribot a retravaillé pour nous un texte écrit en 2001, lorsqu'il était AE en exercice, plus précisément dans la troisième année de son mandat, et qui a paru dans la revue de l'ECF, La Cause freudienne, n° 50. C'est le texte de son intervention à la Journée des AE du 29 septembre 2001 à Paris, intitulée « Ton symptôme et les finalités de l'analyse », à un moment où l'accent mis sur la traversée du fantasme à la fin de l'analyse se déplaçait vers ce qui suit cette traversée, vers ce que Lacan a appelé le « sinthome ». La question du symptôme a d'ailleurs constitué le fil rouge de son enseignement d'AE ; qu'on se reporte à l'un des ses tout premiers textes : « La balistique du symptôme ».
Ce texte nous intéresse particulièrement, puisque nous aurons à Tel Aviv une conversation de plusieurs AE en exercice aujourd'hui, à propos de ce que deviennent les « restes symptomatiques » après la fin de l'analyse, ou ce que Lacan appelle le « savoir-y-faire avec son symptôme » qu'il définit en 1976 comme la fin de l'analyse. Plus de détails à ce propos prochainement !
Bonne lecture, et merci à Patrick Monribot.
Anne Lysy
Towards Tel Aviv - Patrick Monribot 'The Work of the Symptom'
Patrick Monribot has reworked for us a text written in 2001 when he was an AE. More precisely it is from the third year of his mandate and was published in the journal of the ECF, La Cause freudienne 50. It is the text of his intervention at the Study Days of the AE on 29 September 2001 in Paris, entitled 'Your Symptom and the Finalities of the Analysis', at a moment where the accent put on the traversal of the fantasy at the end of analysis shifted towards what follows this traversal, towards what Lacan called the 'sinthome'. The question of the symptom in fact constituted a thread through his teaching as AE ; for which one can refer to one of his earliest texts: 'The Ballistics of the Symptom'.
This present text interests us in particular, as we will have a conversation with several current AE in Tel Aviv, about what becomes of the 'symptomatic remainders' after the end of analysis, or what Lacan called 'knowing how to make do with one's symptom', with which in 1976 he defined the end of analysis. More details on this very soon!
Enjoy the reading and thank you to Patrick Monribot.
Anne Lysy
Le travail du symptôme
Patrick Monribot
Le « travail du symptôme. » Cette expression évoque les syntagmes freudiens que nous fréquentons classiquement : travail du rêve, travail du deuil, ou même la formule de « travail amoureux » proposée par Roland Barthes. Toutes ces formes de travail désignent un point de réel en jeu : « l'ombilic » du rêve, la perte dans le deuil ou l'Autre sexe et l'être dans l'amour.
Qu'en est-il du réel du symptôme et de quelle manière lui imputer un travail ?
Le piège à libido
L'étymologie latine de « travail » -tripaliare-, exprime la torture. Rappelons qu'au Moyen Âge, « travailler » signifiait « faire souffrir », le terme étant réservé soit au condamné torturé, soit aux douleurs de l'enfantement. Il y avait l'idée de pâtir et de produire. Le symptôme peut conjuguer les deux termes avec une mutation observée au fil de la cure : du « pâtir » vers le « produire. » Le tourment du symptôme n'exclut pas la satisfaction. Freud le démontre dans la 23éme de ses Conférence d'introduction… Cette satisfaction concerne moins le sujet lui-même en terme de plaisir que l'exigence libidinale de la pulsion. Plus encore : le compromis symptomatique, en piégeant la libido des pulsions refoulées, vient « à la place de l'activité sexuelle des malade, »1 comme l'écrit Freud dans Les trois essais…
Pour le dire en des termes plus proches de ceux de Lacan : le symptôme est un processus défensif face à l'inconciliable du sexuel, car il vient s'écrire sur le corps en lieu et place d'une impossible écriture du rapport entre les sexes.
La libido est donc au coeur du symptôme, mais sûrement pas celle que Freud assimile à l'Eros. Il s'agit de la libido d'avant « Au-delà du principe du plaisir », celle qui fait scandale, celle que Lacan épingle d'un certain nombre d'attributs pour en corriger l'usage alors galvaudé : ici, il la qualifie de « négative », au service de la « Discorde »2, là, il lui donne « un sens mortifère »3, ailleurs, il lui reconnaît une « couleur-de-vide »4…
Ce drainage de libido dans les rets du symptôme est une dimension travailleuse énergétivore du symptôme.
Mais évoquer un « travail du symptôme », c'est aussi soulever une équivoque. D'un côté le symptôme est travaillé durant le temps d'une cure. D'un autre côté, le symptôme est travailleur : il produit lui-même un travail bien au-delà de la cure. Examinons les deux facettes de cette polysémie : le symptôme travaillé et le symptôme travailleur.
Le symptôme travaillé
Travailler le symptôme c'est, au sens architectural, le déformer. Ce travail est à la charge de l'analysant ; il aboutit à deux résultats que tout passant devra faire valoir.
1- fixer la jouissance
La seule arme dans la cure capable de toucher à la forme du symptôme, de le dé-former, est l'équivoque5 qui n'est pas sans effets thérapeutiques. Le sens caché du symptôme, d'être ainsi atomisé, libère son flot de varités et délivre sa valeur de signifié. Cela soulage, estompe ou guérit. Mais du même coup, cela isole l'incurable, rebelle à toute chirurgie signifiante. C'est à partir de sa dimension incurable que le symptôme prend valeur de lettre. C'est la fonction éminente de la lettre que de fixer la jouissance et de la border. Non seulement le symptôme piège la libido, mais dès lors qu'il a été « travaillé », c'est-à-dire vidé de son enveloppe formelle qui l'habillait de sens, le symptôme fixe « littéralement » la jouissance. Ce gain thérapeutique est une première acception de son travail.
2 - objecter au démenti
Un tel allègement nous amène à distinguer la guérison du traitement. S'agissant de sa valeur de lettre, le symptôme ne guérit pas : si traitement il y a, c'est au sens du traitement de texte ! C'est l'enjeu de la passe que de « savoir y faire » avec le texte, avec la lettre de son symptôme. Si la guérison complète existait, cette visée thérapeutique effacerait tous les restes symptomatiques et la passe n'aurait pas lieu d 'exister ! A la place, nous serions face la promesse d'une psychanalyse vouée, d'après Lacan dans « La troisième », à s'éteindre « de n'être qu'un symptôme oublié. »6 Or, tel n'est pas le cas. La psychanalyse, loin de s'oublier, se transmet : la passe est le laboratoire de cette transmission.
La transmission est rendue possible parce que, justement, « la psychanalyse échoue » (cf. « La troisième »). La passe est donc la transmission réussie d'un échec du transfert à s'opposer à l'insistance du réel, à s'opposer à ce qui « se met en croix…pour empêcher que les choses marchent. »7 Elle est aussi un échec à combler l'écart définitif entre la vérité et le savoir. Dès 1966, dans les Ecrits, -« Du sujet enfin en question »8-, « le symptôme représente le retour de la vérité (…) dans la faille du savoir » chez le névrosé. Il nous faut généraliser cette formule, toujours valide au-delà d'une analyse conclue. Constater ainsi l'échec du savoir absolu hégélien est aussi bien un nom de la castration, ce qui permet à Lacan d'ajouter dans ce même texte que « …la castration est la clef (…) par où se fait l'avènement du symptôme. » Il corrèle castration et symptôme. Travailler le symptôme en analyse fait donc de ce dernier un « traçeur », un marqueur de la castration dans ce qu'elle a d'irréductible. Plus exactement, il objecte à son démenti. Telle est la seconde acception du symptôme travaillé.
C'est dire si la passe, est un procès désidéalisant : elle promeut la castration, élevant l'échec du savoir au rang de l'impossible. C'est la condition pour entrevoir une conclusion à cure. La psychanalyse ne risque donc pas d'accéder au rang de « symptôme oublié » malgré les efforts incroyables en ce sens des autres discours. D'ailleurs, est-elle un symptôme tout court ? Cette question posée Lacan à son auditoire de Rome dans « La troisième », nous conduit à l'autre face de l'équivoque : le symptôme travailleur.
Le symptôme travailleur
Dans l'espace infini qu'ouvre la fin de cure, se loge un renversement dialectique : le symptôme, après avoir été travaillé, va se mettre au travail. Nous allons décliner les modalités de ce travail. J'en dégagerai cinq aspects.
1- Inventer le savoir
Le travail du symptôme cesse d'être une question strictement clinique et prend une fonction politique au sens large : former des analystes et analyser l'expérience de l'Ecole. Il y a une implication directe du symptôme dans ces deux taches qui, toutes deux, sont les piliers de la transmission.
Le mandat de l'A.E. est le temps requis pour nouer le versant clinique du témoignage -comment le symptôme a-t-il été travaillé dans la cure ?- au versant politique -comment le symptôme va-t-il se mettre à travailler ? A cela, s'ajoute un troisième versant nécessaire à faire un nœud : le versant épistémique dont l'élaboration fait la sueur de l'A.E.
La production du savoir pérennise l'ordre du Bien-dire après une analyse. Il ne s'agit pas de produire une théorie, mais de la bousculer. J.-A. Miller signale dans son Cours9 que tout théorie est marquée par le refoulement, et qu'un certain « je ne veux pas savoir » préside fatalement à la transmission. Ce que l'A.E. peut alors faire de mieux consiste à produire des bouts de savoirs qui soient autant de parcelles arrachées à ce dont il ne veut rien savoir… Il ne doit pas oublier davantage que si la castration est le hiatus irréductible entre savoir et vérité, ses constructions ne laissent aucun espoir de former un tout par exhaustion. Le savoir fragmentaire attendu d'un l'A.E. relève davantage de l'invention que de la trouvaille. Ll'invention est une réponse bordant le réel, en quoi elle prend une valeur symptomatique. Elle en a d'ailleurs la modalité logique, celle du nécessaire : le savoir inventé ne cesse pas de s'écrire. Et Lacan n'hésite pas à proposer de « réduire toute invention au sinthome. »10 C'est quasiment une équation d'égalité. Ainsi le travail du sinthome, en première intention, est-il d'invention.
2 - faire lien
Les trois dimensions évoquées -épistémique, clinique, politique- ne servent le discours analytique que si elles sont nouées ensemble. Parler de l'une revient à parler des deux autres. Mais le nœud à trois, cela ne tient pas ! Lacan en démontre « le ratage » en février 1976 : il faut un quatrième terme, le symptôme, pour assurer « une apparence nodale, »11 selon le mot de Lacan. C'est une autre version de la nécessité. Lacan est plus précis encore dans Le sinthome12 quand il montre que le ratage du nœud à trois est équivalent au ratage entre les deux sexes. Tirons-en conséquence : si le symptôme répare le nœud à trois, il fait, du même coup, suppléance à l'impossible rapport entre les sexes et en ce sens, le symptôme a une fonction de lien entre les parlêtres.
Cette fonction liante n'est pas une copule. Le symptôme, comme lettre de jouissance, est d'abord un lien de chacun avec le réel. Qu'on se réfère à « La troisième » : c'est uniquement, dit Lacan, à partir de la lettre du sinthome « que nous avons accès au réel »13. Autant dire que le symptôme est le vecteur du rapport à la cause analytique, dans ce qu'elle a de plus réel.
En somme, le travail du symptôme est de faire lien là où le sexuel échoue. Pour cette raison, le sinthome n'est pas seulement nécessaire sur un plan logique : il est un choix forcé sur le plan politique… Si le symptôme fait valoir l'irréductible de la castration, tout ce qui s'en éloigne relève du démenti et cela est aussi valable au niveau politique. Dans une telle option valorisant le démenti, le lien des analystes entre eux est infecté par des effets de type « S.A.M.C.D.A »14, similaires à ceux des Sociétés analytiques qui prétendent justement se débarrasser des restes symptomatiques.
En refusant de prendre acte du lien symptomatique entre les analystes, le nœud se défait, plus rien ne tient… Chacun roule pour lui-même, au grand dam d'une logique collective. Les trois versants tout à l'heure mentionnés se dénouent : le théoricien se replie dans ses articles, le praticien dans sa boutique, le politicien dans son clan… et le concept d'Ecole est impraticable.
S'il n'y a de lien que symptomatique, l'Ecole elle-même est un « partenaire-symptôme » selon la logique développée par J.-A. Miller dans son Cours de 1998. Ce partenariat s'impose à quiconque aura élucidé le destin du symptôme à la fin de son analyse. D'une certaine façon l'Ecole devient « l'Ecole du symptôme. »
3 - Définir l'analyste
« L'Ecole du symptôme » doit nous faire questionner ce qu'il en est du « symptôme de l'Ecole ». Si l'Ecole est analysable en tant qu'expérience, l'A.E doit s'en faire l'analyste. Il doit devenir à son tour « le partenaire-symptôme » de l'Ecole. Nous pouvons ici reprendre la question de Lacan dans « La troisième », tout à l'heure laissée en suspens : la psychanalyse est-elle un symptôme ? La réponse, vient deux ans plus tard dans « Le sinthome », est la suivante : Non ! « Ce n'est pas la psychanalyse qui est un symptôme, c'est le psychanalyste. » Celui-ci, dit Lacan, « ne peut se concevoir autrement que comme un symptôme. »15
L'analyste est enfin identifié à partir de sa fonction symptomatique : ainsi l'AE peut-il être le symptôme de l'Ecole. Etre son symptôme signifie la déranger, la faire vaciller, se mettre en travers, la faire évoluer. L'A.E. occupe alors une double position : avoir et être un symptôme. Plus précisément, cette dualité se pose ainsi :
1) Avoir l'Ecole pour symptôme. Comme chaque membre, l'AE instaure un lien symptomatique avec elle. Pierre-Gilles Guéguen le rappelait dans un Colloque à Nantes : « une Ecole peut et doit prendre le relais de l'analyse dans un autre mode de traitement du symptôme. »16 Elle y parvient à condition d'être « partenaire symptôme »…
2) Etre un symptôme pour l'Ecole. « L'A.E.-partenaire symptôme » peut alors être celui qui noue la triple dimension tout à l'heure évoquée - (clinique, politique, épistémique). A ce titre, il devient lui-même un nœud ; voilà pourquoi Lacan a pu dire dans « La troisième » : « Ce nœud, il faut l'être. »17
L'identification au symptôme repérée par Lacan au cœur de la passe, est un processus qui, à partir du symptôme permet de définir l'analyste. Tel est le deuxième versant du travail du symptôme.
4 - Sonner le réveil
L'identification au symptôme met en effet le parlêtre au diapason de sa jouissance réelle : « Je suis comme je jouis. ». En ce sens, cette identification réveille. Tout ce qui a trait au réel réveille. L'ombilic du rêve et l'angoisse réveillent. La passe également, mais d'une toute autre façon : par l'incidence qu'y fait le symptôme. Mais de quoi le symptôme nous réveille-t-il au juste ?
L'incompatibilité réciproque du réel et du sens rend délicate toute explication en guise de réponse à cette question. Cet impossible réduction du réel au sens fait le souci de Lacan dans le Séminaire XXIV - « L'une-bévue… ». Il y constate la « débilité » foncière du « mental »18 qui pâtit de ne pouvoir dire la vérité sur le réel. Comme l'a fait valoir J.-A. Miller dans son Cours à propos de « L'une-bévue… », « l'inconscient freudien est une maladie mentale »19. Le savoir dégagé d'une expérience de cure est finalement ravalé à une élucubration qualifiée de « débile ». L'inconscient ne répare pas le discord entre mental et réel : il ne suture pas le vide du non rapport entre les sexes. Cela pose le problème de toute construction dans la passe : fait-elle valoir, oui ou non, un trou lié au défaut du sexe ? En fin de compte, le savoir inconscient, bien qu'arraché à l'ignorance grâce à l'analyse, est néanmoins débile parce qu'il est d'abord, comme le dit J.-A. Miller, un « ne pas savoir y faire avec », notamment avec le défaut du sexe. Au contraire, ce qui relève d'un « savoir y faire », c'est le travail du symptôme. Le symptôme apparaît comme une alternative à la débilité. C'est : symptôme versus débilité.
Le réveil en question consiste à traiter par le symptôme la débilité de la pensée, inconsciente ou non. C'est un travail de réveil. Mais attention ! Gare à ne pas faire du réveil une visée de la passe idéalisée ! Ainsi que le rappelait J.-A. Miller dans le cours cité20, « le réveil définitif n'est qu'un rêve. » Il ne peut être que fugitif.
5 - Serrer le réel
La déficience du mental est mise en évidence chaque fois que la psychanalyse nous confronte à une forme d'impasse. C'est le cas lorsque Lacan affirme que le symptôme est « la seule chose vraiment réelle qui conserve un sens dans le Réel »21. Cette phrase de « L'insu que sait… » est une butée. S'il y a exclusion réciproque du sens et du réel, comment poser un « sens dans le réel ? » Le mot « sens » peut certes s'entendre comme « orientation vers »… Mais cela ne suffit pas à lever l'aporie. Ce chantier ouvert par Lacan n'est toujours pas résolu ; J.-A. Miller en a clairement posé l'énigme à Barcelone en 1998 en ces termes : « Comment penser l'impensable du sens-dans-le-réel ? »22
Le symptôme dévoile ainsi son être de Janus :
- D'un côté, il conserve un sens dans le réel, et cette conjonction fait que la psychanalyse n'est pas une escroquerie, comme le soutient Lacan à Bruxelles. Mais en tant que sens, le symptôme est néanmoins un mensonge au regard du réel qui, lui, dans l'absolu en est exclu -Freud a parlé de proton-pseudos pour dire le mensonge du symptôme.
- D'un autre côté, en tant que signification, il se réduit à une lettre hors-sens. Il est alors un signifiant supplémentaire, qui n'est pas de l'Autre mais compatible avec l'inexistence de l'Autre. Ces deux versants -mensonge et lettre- opèrent une conjonction impensable du sens et du hors-sens.
Voilà sans doute la part de travail la plus extrême du symptôme, au-delà de tout processus mental : concilier les inconciliables (sens et réel) sans pour autant les réconcilier par définition. Ce tour de force, Lacan le prête aux poètes -cf. « L'insu que sait… »- car ils sont capables d'engendrer une signification sans les effets de sens.
Les A.E. pourraient s'en inspirer comme le suggère J.-A. Miller lorsqu'il a évoqué « l'artiste » comme version de l'A.E. Il ne s'agit pas de parodier maladroitement les poètes, mais pour inventer une solution qui ait la fonction du poétique : permettre le serrage du réel. Ceci nous ramène à l'invention des bouts de savoirs après la passe : il ne s'agit pas de donner sens à ce qui n'en pas. C'est impossible et ce serait un retour à la bataille que le névrosé livre avec le manque ! Il s'agit de faire signe d'un « savoir faire avec », avec ce qu'il faut bien appeler un trou plutôt qu'un manque. Plus exactement, le « savoir faire » est, pour Lacan, un « faire » qui est à « faire passer au savoir », ce qui selon lui, éclaire véritablement la pratique du nœud.
Cela revient à donner vie à ce qu'il appelle « la dynamique des nœuds, »23 dont il résume ainsi la portée : « Ca ne sert à rien, dit-il, mais ça serre. » Serrer est la version dernière, pourrait-on dire, du « travail du symptôme ».
Pou conclure…
…N'est-ce pas l'objet de tout travail, quel qu'il soit, de serrer un bout de réel pour fonder une pratique ? C'est bien différent que de déduire celle-ci d'une théorie de toute façon toujours en déconstruction. Si « le travail du rêve » a historiquement permis de découvrir l'inconscient comme savoir, « le travail du symptôme » quant à lui ne fonde-t-il pas un au-delà de l'inconscient freudien, là où justement le savoir défaille ? C'est ainsi que s'articule le particulier du symptôme à l'enjeu collectif des finalités de l'analyse. C'est ainsi que le symptôme de fin d'analyse peut-être utile à tous, comme l'avait fait valoir Eric Laurent à des Journées de l'Ecole espagnole à Bilbao, il y a quelques années.
En traitant le réel incurable par une opération de serrage, le symptôme n'est-il pas à l'horizon d'une pratique radicalement Autre de la psychanalyse ? N'est-ce pas l'enjeu même de la formation de l'analyste aujourd'hui, s'il veut survivre à son siècle et à une entreprise d'éradication soigneusement orchestrée par le discours du maître moderne ?
J'en resterai sur ces questions d'avenir.
Bibliographie
1 Freud S., Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, coll. Folio/Essai, 1962, p.52
2 Lacan J., « De l'agressivité en psychanalyse », Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.116
3 Lacan J., « Position de l'inconscient », Ecrits, op. cit. p.846
4 Lacan J., « Du Trieb de Freud », Ecrits, op. cit., p.851
5 Lacan J., Le séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, Seuil, Paris, 2005, p. 17
6 Lacan J., « La troisième », Lettres de l'Ecole freudienne, n° 16, Paris, 1975, p. 186
7 Ibid., p. 186
8 Lacan J., « Du sujet enfin en question », Ecrits, op. cit. pp. 234-235
9 Miller J.-A., L'orientation lacanienne, Département de psychanalyse de Paris VIII, « Le lieu et le lien », Cours 2000-2001, leçon du 13-06-2001, inédit
10 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, op. cit. p. 132
11 Lacan J., Ibid, p. 113
12 Lacan J., Ibid., pp. 100-102
13 Lacan J., « La troisième », op. cit., p. 201
14 (Société d'Assurance Mutuelle Contre le Discours Analytique) - Lacan J., Télévision, Paris, Seuil, 1974, p.27
15 Lacan J., Le Séminaire Livre XXIII, op. cit., p. 135.
16 Guéguen G., « Eléments pour l'analyse du symptôme », Ornicar ? digital, n°164, 08-04-2001
17 Lacan J., « La troisième », op. cit., p.182
18 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, « L'insu que sait de l'une-bévue s'aile à mourre », leçon du 19-04-1977, Ornicar ?, n°17, 18, Paris, 1979, pp. 16-19
19 Miller J.-A., « Le lieu et le lien », op. cit., leçon du 13-06-1976, inédit
20 Ibid.
21 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIV, « L'insu… », leçon du 15-03-1977, Ornicar ?, n°17, 18, op. cit., pp. 7-11
22 Miller J.-A., « Le symptôme : savoir, sens et réel », Le symptôme-charlatan, Paris, Seuil, Coll. Champ freudien, 1998, p.58
23 Lacan J., Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, op. cit., p. 81