Rapport du séminaire de la NLS "Nouages" - SOCIÉTÉ HELLÉNIQUE
9 decembre 2011
9 December 2011
Rapport du séminaire de la NLS “Nouages”
« Lire un symptôme »
Athènes, 24 septembre 2011
Le séminaire «Nouages», qui s’inscrit dans le cadre de la préparation du prochain congrès de la NLS à Tel-Aviv et a lieu 6 fois dans l’année dans différents lieux de la NLS, s’est tenu le samedi 24 septembre 2011 à l’Hôpital Général d’Athènes « G. Gennimatas », devant un auditoire nombreux. La présidente de la NLS, Anne Lysy, a fait l’introduction théorique ; deux cas cliniques ont été ensuite présentés par Ahinoam Mezzer-Gur, membre du GIEP (Israël), et Yannis Dimitrakos, membre de la Société Hellénique.
Anne Lysy a présenté le thème du congrès, «Lire un symptôme», proposé par J.-A. Miller lors du dernier congrès de la NLS à Londres, en commentant son exposé[1]
Elle a tout d’abord souligné que Jacques-Alain Miller partait, dans son exposé, de l’opposition entre l’être, en tant que produit du langage, et le réel, lié à la dimension de la lettre. D’où l’énoncé de J.-A. Miller: «Dans la lettre, ce n’est pas l’être, being, qu’on trouve, in the letter is not being that you find, c’est the Real». Mais, en psychanalyse, où est le réel? Le symptôme, comme formation de l’inconscient, se distingue des autres formations par sa permanence. Freud avait déjà remarqué que le symptôme ne disparaît pas lorsque son sens, sa face de vérité, est révélé par l’interprétation. C’est pourquoi, dans son texte Analyse finie et infinie[2], il se réfère à ce qu’il appelle des «restes symptomatiques». Il s’agit là, précisément, du réel du symptôme, du hors-sens du symptôme, où nous rencontrons la lettre. Et J.-A. Miller affirme que le symptôme est ce que la psychanalyse nous donne de plus réel.
Lire un symptôme signifie: s’éloigner de l’écoute du sens et s’occuper de la lettre, dans sa matérialité et ses effets de jouissance. Freud, déjà, dans son texte Inhibition, symptôme et angoisse[3] définissait le symptôme «comme le signe et le substitut (Anzeichen und Ersatz) d’une satisfaction pulsionnelle qui n’a pas eu lieu». Anne Lysy, poursuivant le commentaire de l’exposé de J.-A. Miller, a rappelé que, dans l’enseignement lacanien, ce qui caractérise précisément le corps humain est le fait que sa jouissance subit l’incidence du signifiant. Cette incidence signifiante fait de la jouissance du corps un événement. Dans la dernière période de l’enseignement de Lacan, et après le renversement théorique opéré par le Séminaire ΧΧ[4] , le signifiant a désormais des effets de jouissance, et non plus de mortification. À ce stade de la réflexion lacanienne, le symptôme est désigné de différentes façons : quatrième cercle du nœud, agrafe entre le symbolique et le réel, lettre dont nous jouissons, événement de corps. Il n’est plus métaphore.
Ainsi, conclut J.-A. Miller, savoir lire un symptôme, c’est viser la réduction du symptôme à sa formule initiale, en d’autres termes à la rencontre matérielle d’un signifiant avec le corps, au choc pur qu’exerce le langage sur le corps. S’il est effectivement nécessaire d’en passer par la dialectique mouvante du désir pour traiter le symptôme, il faut néanmoins se garder de se laisser entraîner par les mirages de la vérité: viser au-delà de ce qu’apporte le déchiffrage, comme vérité, viser en d’autres termes l’opacité du réel dans le symptôme.
En se demandant sur quoi nous nous orientons dans notre pratique analytique, A. Lysy a évoqué trois points de repères, correspondant à des étapes différentes de l’élaboration de Lacan, isolés par J.-A. Miller dans son cours de l’an passé: les formations de l’inconscient, le fantasme et le sinthome. Il y a effectivement une différence entre s’orienter par le sens, la vérité ou la question de l’être et s’orienter sur le sinthome qui est du côté de l’existence. J.-A. Miller soutient que notre pratique doit être guidée par le souci du réel du symptôme. De ce point de vue, la clinique du symptôme est une clinique de la singularité.
A. Lysy a conclu en s’interrogeant sur le destin du symptôme dans le traitement analytique. Des entretiens préliminaires, où la plainte initiale de l’analysant fait place à un symptôme psychanalytique lié au transfert, nous arrivons à une expérience du symptôme comme noyau dur non guérissable, qui peut — grâce à l’acte de l’analyste — être vécu non plus comme un obstacle, un malaise, mais comme un point d’accrochage, une manière d’en faire usage, une fois que le sujet a reconnu, nommé, assumé la singularité de sa jouissance.
Nous avons eu la chance d’entendre ensuite l’exposé d’un cas de névrose et d’un cas de psychose, cas pour lesquels chacun des deux intervenants a «lu» les points théoriques évoqués.
Ahinoam Mezzer-Gur a présenté le cas d’un enfant névrotique de huit ans, en traitement depuis trois mois. Son symptôme - s’il ne voit pas un adulte, il a peur - a donné l’occasion à Ahinoam Mezzer-Gur de nous présenter de manière très pertinente, d’une part, le symptôme de l’enfant comme représentant la vérité du couple parental, et, d’autre part, la forme individualisée d’un symptôme typique de névrose obsessionnelle, tel qu’il se forme dans la relation singulière de ce sujet au désir et à la jouissance. En définitive, dans ce cas précis, le besoin de l’enfant de voir un adulte est indissociablement lié à son interrogation quant au désir de l’Autre, tandis que le versant de la jouissance se marque dans cet «agrippement du regard» dont Lacan, dans le Séminaire ΧΧΙΙΙ[5], déclare qu’il est «particulièrement difficile» d’en « arracher l’obsessionnel». Dans ce cas l’objet regard fait son apparition dans le troisième œil du monstre de son dernier rêve, en même temps que l’homophonie (en hébreu) «mauvais» et «voir». Le traitement se poursuit.
Yannis Dimitrakos, à sa manière bien à lui, a mis en valeur la ligne ténue séparant dans la pratique le psychiatre du psychanalyste. Il a présenté un cas s’inscrivant dans «la clinique des petits indices de la forclusion». Giacomo est cuisinier et, plus précisément, assistant du chef. Après une rencontre avec l’Un-Père (une conjoncture malheureuse à son milieu de travail), Giacomo a cessé de conduire parce qu’il croyait voir le feu passer au vert, se voyait démarrer et écraser un passant. Yannis Dimitrakos l’a écouté, l’a accepté, dans son travail d’interprétation auquel il s’était voué[6], et il l’a accompagné à la construction de sa solution sinthomatique. En s’appuyant sur un savoir lire du symptôme de Giacomo, il a orienté sa pratique sur un bien dire qui consistait à ne rien dire ou à en dire le moins possible[7]. La construction sinthomatique de Giacomo était la réalisation de recettes originales, les recettes « à la Giacomo ». L’«original», chez Giacomo, constitue le nom de son être, le nom de sa jouissance. Il a finalement réussi à partir pour l’étranger, dans le pays qui était pour lui le pays où il pouvait s’adonner librement à son art. Ce cas met en valeur la façon dont une solution sinthomatique inventée par le sujet schizophrène lui-même, est à même de le stabiliser et de maintenir son intégration dans le lien social.
Les exposés de nos collègues ont été largement commentés par les participants.
Souhaitons, pour conclure, que la préparation du prochain congrès de la NLS soit riche en «lectures».
Hélène Molari
Membre de la Société Hellénique de la NLS