KRING- DEUXIÈME WEEKEND DE LA NLS
Kring voor Psychoanalyse
Compte-rendu du deuxième weekend de la NLS
Mère, fille, femme dans la XXIème siècle
Gand, 30-31 janvier 2010
Avec Philippe Stasse, Monique Kusnierek et Véronique Mariage
Pendant le deuxième week-end de la NLS, Philippe Stasse nous a présenté le samedi un exposé très intéressant sur le thème de la NLS de cette année, sous le titre ‘Femmes et mères’. Le dimanche, Véronique Mariage et Monique Kusnierek étaient invitées pour converser avec Philippe Stasse et les membres du Kring sur le thème de la ‘post-passe’.
Qu’est-ce qu’une femme, qu’est-ce qu’une mère? Dans sa conférence, Philippe Stasse vise une articulation de ces deux questions. Autrement dit : il s’agit de la question de ‘la femme dans la mère’, la question de la castration maternelle, question que chaque sujet rencontre en analyse. Son point de départ est un passage dans Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine :
« Au même point convient-il d’interroger si la médiation phallique draine tout ce qui peut se manifester de pulsionnel chez la femme, et notamment tout le courant de l’instinct maternel. » (Ecrits, p. 730).
Il accentue trois termes et les fera résonner dans son élaboration sur le rapport entre mère et femme. Il part pour ça chez Freud et son texte sur la féminité dans les Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse (1932) et puis, il passe à Lacan et le parcours de son enseignement concernant ce thème.
Freud, dans son texte, accentue que la psychanalyse est de nature de ne pas vouloir décrire ce qu’est la femme, mais d’examiner comment elle le devient. A partir de là, il reprend le complexe d’Œdipe et le complexe de castration chez la fille, cheminement plus difficile que chez le garçon. La fille doit, en effet, changer de zone érogène (et donc abandonner la phase d’un auto-érotisme masculin) et changer d’objet (de la mère comme objet d’amour au père). Freud note l’importance de l’attachement préoedipien à la mère, avec deux versants : le désir de faire un enfant à celle-ci et le désir de mettre au monde un enfant pour elle ; une position phallique qui prendra fin avec le constat qu’elle n’a pas de pénis. Et ça engendre une orientation vers le père. Autrement dit: c’est le complexe de castration qui introduit la fille au complexe d’Œdipe : elle constate qu’elle ne l’a pas, l’organe phallique, et elle veut l’avoir, plus précisément du père. ‘Avoir l’organe’ dans deux sens différents : posséder l’organe, et pour cela, passer par l’identification au père, à l’homme, ce qui donne la position hystérique ; ou recevoir l’organe de l’Autre, dans un échange, pour en jouir ‘en tant que femme’ : le terme ‘médiation phallique’ est ici applicable. Pour Freud, c’est ici que la position féminine peut être instaurée : quand le désir du pénis est remplacé par le désir de l’enfant, qu’elle veut obtenir du père (pénis = enfant). Ainsi, pour Freud, la position féminine et la maternité sont équivalentes. Il s’agit du fait que la fille veut compenser le manque au niveau de l’avoir (pénis) par ce qu’elle peut obtenir du père (enfant).
Autrement dit : pour Freud, dès le départ de la position féminine, l’enfant est en jeu, ainsi que l’ombre de la mère et la maternité.
Avec l’énoncé de Freud, qu’il n’a qu’une libido, qui est masculine, Philippe Stasse fait le passage à Lacan, qui pose que la libido est orientée par le phallus. Il examine le statut du phallus dans l’enseignement de Lacan, en rapport avec le ‘devenir femme’ et la maternité.
Dans le séminaire III, Lacan revient sur la dissymétrie entre le garçon et la fille dans l’Œdipe et il la situe essentiellement au niveau symbolique ; elle tient au signifiant. Au-delà de la différence imaginaire entre les sexes (le constat, comme image, de la présence ou de l’absence de l’organe), le phallus reste le symbole central (phallus comme signifiant de son désir), dont il n’y a pas de correspondant pour la femme. Il n’y a pas de symbolisation du sexe de la femme. Pour pallier au manque symbolique, un détour est nécessaire, par le père. Jusqu’ici, l’idée de Lacan sur le devenir-femme est encore très freudienne. Dans le cas de Dora, le détour par le père pour pallier le manque symbolique se transforme dans une identification à l’homme, une identification masculine comme réponse à la question de ‘l’être femme’. Ce n’est qu’une étape en chemin dans le parcours de l’Œdipe : il est nécessaire que le chemin de l’Œdipe se poursuive après ce détour par le père, pour passer du père à un homme.
Dans le séminaire IV, Lacan situe la place de l’enfant pour une femme en termes de relation d’objet. Il dit que la femme trouve dans l’enfant une satisfaction en tant que celui-ci calme et sature son besoin de phallus, plus ou moins bien (IV, p. 70). Il dit : « l’enfant en tant que réel symbolise l’image » (p. 71). Cela aussi reste très freudien : obtenir un enfant du père comme substitut au phallus manquant. On trouve ici une articulation du phallus imaginaire – le phallus en tant qu’absent –, au phallus symbolique, comme fonction symbolique liée au signifiant.
Dans le séminaire V, Lacan développe une première formule de la fonction paternelle, qui est sa relecture du complexe d’Œdipe. Il s’agit d’une métaphore, qui fait passer le phallus du statut de signifié du désir de la mère (x) au statut de signifiant du désir (phallus symbolique). Il s’agit du passage de l’avoir à l’être ; la demande d’amour (avoir) est transformée en identification (désir d’être comme), identification qui prend des formes différentes selon qu’on se situe du côté masculin, hystérique ou féminin. De quoi s’agit-il donc chez une femme ? Pour une femme il s’agit d’une identification au phallus symbolique : à défaut d’avoir le phallus, partant donc d’un manque à avoir, il s’agit d’en présenter l’apparence, de ‘paraître l’être’, d’être dans la position de l’objet d’un désir, d’être désirée, soit se construire un ‘être’ à partir du paraître. Philippe Stasse réfère ici à un texte d’Eric Laurent: il faut que le sujet en position féminine supporte d’être phallicisé, à travers la mascarade, pour trouver une insertion dans le fantasme de l’homme. Cependant, il ne faut pas que le sujet croie à cette identification imaginaire.
L’introduction par Lacan de la signification phallique permet de saisir la mère dans la dimension du désir : la question de la mère, dit Philippe Stasse, est celle de son désir ; la question du père est celle du nom. Le désir de la mère, s’il n’est pas articulé au Nom-du-Père pour produire la médiation phallique, laisse l’enfant en plan avec la question énigmatique : « que veut-elle ? ». « Elle me veut moi ». L’enfant devient alors l’objet de la mère et réalise la présence de l’objet a dans sa fantasme. La barre inscrite sur la mère dans la métaphore paternelle, c’est la fonction castration ; le Nom-du-Père est ce qui vient couvrir la castration.
A partir du séminaire XX, avec les schémas de la sexuation et la question de la jouissance féminine, les choses peuvent être formulées en d’autres termes qu’oedipiens. Les schémas de sexuation, avec les deux positions du parlêtre par rapport à la fonction phallique, permettront Lacan d’écrire deux formules : 1. La femme n’existe pas ; 2. Il n’a pas de rapport sexuel. Une façon de lire ça, c’est: la seconde formule découle du première. La forclusion du signifiant de la femme, l’absence d’un concept universelle de la féminité, fait qu’il n’est pas possible d’écrire le rapport sexuel. L’inexistence d’un signifiant pour La femme dans l’inconscient, implique que les femmes ne peuvent pas se référer à une catégorie universelle pour se définir : elles ne savent pas ce qu’elles sont, mais néanmoins, cela elles le savent. Contrairement à l’homme, qui croit savoir ce qu’est un homme, – ce qui ne se fait jamais que dans le registre de l’imposture. L’imposture masculine passe par le phallus, par le semblant phallique. La femme par contre doit passer par un cortège de semblants (S et I), pour boucher le trou de l’inexistence de La femme (R). C’est le versant de la mascarade, à l’opposé de l’imposture chez l’homme.
Les schémas montrent qu’une femme, si elle n’est pas tout dans la fonction phallique, elle y est néanmoins pour une part (cfr. La flèche de ð vers
dans les schémas). Mais il y a toujours quelque chose qui échappe au discours, aussi pour elle, une part d’elle-même, qui prend la forme d’une jouissance énigmatique, comme une supplément de la jouissance phallique. Déjà dans les Propos directifs, Lacan dit : l’homme sert ici de relais, il a une fonction médiateur, pour que la femme devienne cet Autre pour elle-même, comme elle l’est pour lui (E. p. 732). La difficulté de la position féminine, c’est de pouvoir opérer à partir de rien, devenir Autre pour un homme symboliquement, et non sur le plan de la rivalité imaginaire, sans adhérence imaginaire à l’Un.
A partir de la logique des formules de sexuation, il est possible de situer la mère autrement que ‘dans le prolongement de la femme’ et dans le contexte de son désir comme mère. Si La femme n’existe pas, le rapport entre un homme et une femme est toujours symptomatique. La maternité peut venir comme suppléance au rapport sexuel qui n’existe pas, à l’absence du signifiant pour La femme. Comme Lacan dit : la femme n’entre en fonction dans le rapport sexuel qu’en tant que mère – quoad matrem’ –, autrement dit : par l’universel de la fonction mère. (XX, p. 32) La mère est à situer du côté du ‘tout phallique’. La mère comme une des voiles de la position féminine. C’est une solution du côté de l’avoir : la mère, c’est elle qui a. L’enfant, dans la position de l’objet, vient la complémenter comme femme.
Femme et mère ne se recouvrent pas. Confondre la position féminine et la position maternelle, les faire se recouvrir, est une manière de faire exister La femme dans la mère. Au lieu du continent noir sur lequel Freud a buté, Lacan ne nous montre qu’un signifiant manquant, celui de La femme.
Dans la deuxième partie, Stijn Vanheule, membre du Kring, nous apportait un cas captivant d’un homme psychotique, qui voulait ‘apprendre à parler de soi-même’. Ce cas posait la question du statut particulier du parler pour un sujet psychotique, pour qui la parole n’est pas arrimée à la signification phallique. L’anéantissement du signifiant, le fait qu’il n’était pas représenté par le signifiant, produisait une fugue : il ‘s’absentait’ de la chaîne signifiante et il bouchait le trou dans la chaîne avec un produit toxicomane. Cet homme balançait entre, d’une part, une position dans laquelle il était radicalement aliéné et intimidé par l’autre, résultant dans des relations imaginaires ‘déshumanisantes’, d’autre part une série d’identifications à des images masculines. Le rapport particulier de cet homme à son corps était évoqué ici, un corps qui n’est pas pris dans le discours et qui ne se présente à lui que par un autre imaginaire : le miroir ou le médecin. Ce sujet essayait de se construire comme homme, par des arts martiaux et par des identifications. Dans ses interventions, l’analyste évitait de lui forcer de parler de soi-même : tout n’est pas à dire et pas tout peut être dit ; ce qui rendait cet homme capable de dire ‘non’ à quelqu’un pour la première fois. Les interventions de l’analyste visait de soutenir le travail que cet homme était lui-même en train de faire, d’une part pour ranimer certaines identifications, d’autre part par lui aider d’être ‘un homme familial moyen’, en formulant des opinions courants sur ce que c’est d’être un homme de famille. Cet homme s’en est servi.
Le dimanche matin, le Kring avait le plaisir de recevoir non seulement Philippe Stasse, mais aussi Monique Kusnierek et Véronique Mariage. Les trois ex-AEs conversaient avec les membres du Kring sur le thème de la post-passe. D’abord, Véronique Mariage nous apportait un témoignage d’une tranche d’analyse après sa passe. Monique Kusnierek référait à Lacan, notamment à ce que Jacques-Alain Miller nous dit dans son cours, ‘Vie de Lacan’, et référait à sa propre analyse, pour illustrer qu’après la passe, un analyste met son mode de jouir au service de l’analyse, que ce reste est la marque singulière du désir de l’analyste. La conversation évoquait cette dynamique dans laquelle ces restes symptomatiques, condensés, qui sont réels et indestructibles, et qui sont actifs comme ‘modes de jouir’ dans le désir singulier de l’analyste, peuvent être réactivés, mis au travail par une nouvelle tranche d’analyse. Une analyse après la passe ne veut donc pas dire que le trop doit être réduit, condensé, de nouveau, mais que le reste doit être réactivé. Ceci n’est qu’un résumé sommaire de cette conversation très captivante.
Le Kring remercie Philippe Stasse, Monique Kusnierek et Véronique Mariage d’être venus à Gand et pour leurs contributions précieuses.
Els Van Compernolle