KRING VOOR PSYCHOANALYSE - COMPTE-RENDU, PREMIER WEEKEND NLS
Premier Weekend NLS au Kring voor Psychoanalyse
Fille, Mère, Femme au XXIe Siècle
Gand, 10-11 octobre 2009
Avec Rose-Paule Vinciguerra et Bernard Seynhaeve
Pour son premier Week-end de la NLS 2009-2010, le Kring a accueilli Rose-Paule Vinciguerra pour travailler autour du thème de la féminité. Elle avait également accepté de participer à la conversation du dimanche matin, où Bernard Seynhaeve a fait une intervention sur sa passe. Première dans une série de trois, c’est en effet la thématique de la passe qui fait l’objet des trois conversations des Week-ends NLS du Kring de cette année.
Dans son exposé du samedi après-midi, Rose-Paule Vinciguerra a d’abord posé les principaux jalons de la doctrine freudienne sur le "devenir femme" de la petite fille à travers notamment les aléas de la relation à la mère. L’oeuvre de Freud est riche sur cette question qui l’intéresse dès 1908; Rose-Paule Vinciguerra nous a montrée, textes à l’appui, comment elle revient, comment Freud la relance, et comment il essaie de répondre à la question centrale du passage de l’auto-érotisme masculin de la fille à la féminité. De l’attribution universelle de l’organe pénien, où la satisfaction de la fille est au prix de la connaissance de sa différence, la fille passe à l’envie du pénis qui est la conséquence d’un instant de voir ("en un instant, elle l’a vu, sait qu’elle ne l’a pas, et veut l’avoir") qui gâte l’exercice de sa sexualité. Le lien à la mère, accusée de l’avoir séduite et abandonnée après, se transforme d’amour en haine; la fille entre dans le complexe de castration qui précède le moment où elle cherchera à recevoir du père ce qu’elle n’a pas pu obtenir par la mère. C’est dans ce dernier tournant que Freud va inscrire l’ouverture au terrain de la féminité : abandon de l’activité masculine, dominance des tendances passives qui échappent à la catastrophe du refoulement, et qui auront, après que le désir de pénis se soit mué en désir d’enfant, à se porter comme demande et désir sur un autre homme après la déception paternelle.
L’apport lacanien va prendre son départ dans un déplacement majeur par rapport au statut du phallus. Pour Freud, le phallus est essentiellement ce qui se voit, ou ce qui manque dans l’image. Pour Lacan, ce manque est un manque symbolique, et ne pas avoir le phallus symboliquement est une façon d’y participer à titre d’absence, et donc l’avoir en quelque sorte. Cette castration symbolique d’un objet imaginaire correspond aussi à la situation de la mère, là où elle est femme. Si Lacan accepte donc l’idée freudienne du phallus imaginaire, ce phallus n’est pas, comme pour Freud, le pénis érigé, mais ce qui manque, et essentiellement chez la femme dans la mère. C’est cette conjoncture qui permet de voir comment un enfant peut venir à cette place de manque pour la mère, ce qui donne le principe de la perversion féminine, mais aussi comment la métaphore paternelle va pouvoir s’inscrire dans ce lieu négativé du phallus. Chez Lacan, c’est donc le phallus symbolique qui ‘cadre’ et ordonne tout les cheminements du phallus imaginaire entre la mère et l’enfant. Le manque-à-être permettra un lien entre hommes et femmes, la signification phallique fait intervenir un semblant dans la relation entre les sexes. Le phallus symbolique rend compte de la fonction imaginaire de la castration; Lacan, d’une certaine façon, inverse ici la position de Freud.
Le semblant par excellence, n’est-ce pas le Phallus ? La mascarade, par où la femme récupère le manque-à-avoir dans le paraître, trouve ici sa place. C’est par cette voie qu’elle va se proposer comme objet du désir masculin; l’homme va lui servir de relais pour qu’elle paraisse le phallus qu’elle n’a pas. En offrant au désir de l’homme un objet de désir non-détumescent, elle fait de ses attributs féminins le signe de la toute-puissance de l’homme. Elle le sait, et elle a un certain mépris de sa méprise. Si dans ses rapports aux hommes, elle désire le porteur de l’organe, c’est pour leur castration qu’elle les aime; par ce côté-là, les femmes sont infidèles avec les hommes. Au-delà du porteur de l’organe et du voile phallique, c’est "un amant châtré ou un homme mort" (Ecrits, p.733) qui appelle son adoration.
C’est sur le rapport de la femme au Phallus que Lacan mettra l’accent quand il aborde la relation de la mère à l’enfant. Ce n’est en effet pas sur l’amour de la mère mais sur son désir qu’il insiste, c’est-à-dire sur la femme dans la mère; et on voit bien comment l’enfant peut combler, dans les conditions de la castration, le désir d’avoir.
Nous n’avons repris ici que quelques éléments de ce que Rose-Paule Vinciguerra nous a présenté de sa lecture très détaillée du texte freudien, et de la relecture lacanienne de l’Oedipe. Cette lecture a permis de mieux saisir la nouveauté qu’apporte Lacan, qui s’est aussi demandé si l’enfant n’entre pas parfois dans un autre rapport que celui qui complète la mère. Qu’en est-il quand l’enfant est l’objet qui apparaît dans le réel ? Cette question ne se pose pas seulement pour le champ de la psychose, mais aussi en lien direct avec le pas-tout de la féminité. On la voit déjà posée en 1958, quand Lacan note qu’il convient "d’interroger si la médiation phallique draine tout ce qui peut se manifester de pulsionnel chez la femme, et notamment tout le courant de l’instinct maternel" (Ecrits, p. 730). La corrélation de l’enfant au désir de la mère laisse ouverte la question de l’enfant corrélat de sa jouissance. La femme, de par la forclusion du signifiant de La femme, fait valoir une partie de son être hors de la loi; dans cette zone-là, la castration ne concerne pas vraiment les femmes. "Je ne ferai pas aux femmes obligation d’auner au chaussoir de la castration la gaine charmante qu’elles n’élèvent pas au signifiant", disait Lacan (Autres Ecrits, p.465), situant ainsi les femmes entre le centre phallique et l’absence qui est une absence à elles-mêmes: une "joui-absence", disait Rose-Paule Vinciguerra, étrangère à elle-même et au cœur d’elle-même, qui ne répond pas à l’organisation phallique et à la castration. Dans ce lieu, l’interdit n’a pas cours, et la jouissance y sort des limites de la représentation de l’Autre comme sexué. Cette jouissance, en défaut de parole, peut se rebrousser jusqu’à un point de privation réelle, de manque originel dans le symbolique. Lorsqu’une femme pas-toute éprouve cette jouissance insymbolisable dans la relation à l’enfant, ou quand l’enfant rencontre ce point chez la mère, le ravage n’est pas loin, ravage qui n’est pas de l’archaïque qui remonte, ni le pré-oedipien où Freud pointait toutes les impasses qui caractérisent le lien mère-enfant, mais l’incidence d’une zone sur les marges de l’inscription phallique.
Tracy Favre a ensuite présenté un cas clinique complexe et passionnant. La sériation des dits d’un enfant de huit ans, très ‘troublé’ dans son ‘comportement’, l’attention portée par le clinicien à l’émergence du signifiant chez les parents avec les effets d’induction sur l’enfant objet de ce discours, ont permis de s’orienter dans ce cas, tout en rendant sensible jusqu’à quel point notre clinique psychanalytique est une clinique du détail. Là où la virulence ‘agressive’ de cet enfant signale l’intensité de la menace qu’incarne l’Autre, c’est par l’érection dans son discours d’un prétendu ‘secret’ qu’il trouve une zone restreinte soustraite au pouvoir démesuré de l’Autre. C’est en n’y touchant pas que Tracy Favre a permis à ce jeune de déposer un peu ses armes, et que du coup, la jouissance a pu se concentrer un peu autrement.
Dans ses commentaires, Rose-Paule Vinciguerra a souligné plusieurs points qui ont permis de situer l’espace de son tourment, au-delà des ambiguïtés du discours maternel : les demandes des autres, que ce garçon veut écraser avec son ‘marteau-silence’. A la place de l’organisation familiale, il n’y a pour ce jeune qu’un grand trou, qui ne renvoie pas à un mythe, mais plutôt à une exécution capitale. La forclusion de la clé du désir donne au cas des allures de non-né, d’un sujet dont le corps se situe sur la limite de l’inanimé et de la robotisation. Les interventions multiples du clinicien, toutes d’une grande docilité, ont permis un minimum de transfert de son tourment sur un élément nouveau, le clinicien-partenaire.
Dissiper "l’ombre sur la pratique de la psychanalyse" (Autres Ecrits, p.245), "s’intéresser à la passe où l’acte pourrait se saisir dans le temps qu’il se produit" (ibid, p.266), c’est la proposition que Lacan soumet aux Analystes de son Ecole, c’est aussi ce qui anime les nombreux travaux que Bernard Seynhaeve a publiés suite à sa nomination d’AE en 2008. Poursuivre ce travail, dire un peu plus sur le vide, sans que ce dire soit un vouloir-jouir, parler vers l’Autre, mais à partir d’un bord, toucher quelque chose qui soit réel, mais pas sans une énonciation, cette visée éthique était sensible dans la façon dont Bernard s’est adressé à nous, en partant de deux questions qui lui ont été posées : l’une portant sur la marque du signifiant dans le corps, l’autre sur la question de la fin de l’analyse, de l’arrêt de l’analyse, et du passage à l’analyste. On ne peut donner ici qu’un petit aperçu de la richesse de son intervention et de l’échange avec Rose-Paule Vinciguerra et le public qui l’a suivie.
La marque du signifiant dans le corps. La question qui a traversé d’un bout à l’autre l’analyse de Bernard Seynhaeve est celle de la construction de la pulsion : comment le sujet incorpore-t-il les signifiants de son histoire pour traiter la jouissance avec laquelle il vient au monde, en tant que vivant ? Un petit symptôme obsessionnel, présent dès l’adolescence, clocherie pas trop dérangeante, juste assez pour se rappeler à son bon souvenir, va resurgir au cours de l’analyse. Il resurgit, mais tout en restant périphérique par rapport au travail de l’inconscient transférentiel. Ce point obscur, échappant aux grandes articulations S1-S2 qui se déploieront sous transfert, prendra toute sa valeur après qu’une interprétation de l’analyste stoppa net le travail incessant d’articulation de signifiants. Se révèle alors au sujet que dès qu’il associait deux signifiants, c’était la jouissance de la parlotte qui commandait. Il fait alors l’expérience de traverser un désert, expérience de silence, corrélative d’une mutation du statut de l’inconscient. C’est à cette époque que le petit symptôme, consistant à éviter les joints qui séparent les bordures du trottoir, apparaît soudainement sous un autre jour au sujet : il ne s’agissait pas d’éviter les joints des bordures, mais de faire du corps le lieu de joint, dans une tentative vaine de réaliser la suture du joint. Ce symptôme n’est pas une formation de l’inconscient, mais un événement de corps, lié à la lettre, la lettre écrite par l’oncle, dont l’être du sujet était le produit.
Situé au-delà du signifiant maître qui représente le sujet pour un autre signifiant, le S1 comme lettre dessine le versant sinthomatique qui ne se déchiffre pas. L’importance de ce symptôme durant et après la passe ira grandissante; si l’interprétation de l’analyste a permis d’attraper une écriture du non-rapport qui ne représente rien, mais écrit, si l’épurement du symbolique vers l’inconscient réel a rendu possible le glissement du symptôme vers le sinthome, il faut maintenant trouver le juste dire à partir de ce trait qui détermine un trou, sans le recouvrir avec du semblant; c’est la visée "passe 3" . "Peut-on subvertir le "vouloir jouir" de son symptôme pour le faire "vouloir dire", le muer en un "je veux dire, dire quelque chose de plus sur le vide, justement, sur la nouvelle impasse?", « c’est la question qui se présente à moi aujourd’hui" ; c’est ainsi que Bernard a conclu.
Le Kring remercie très fort Rose-Paule Vinciguerra et Bernard Seynhaeve d’être venus à Gand.
Geert Hoornaert